#e-actus - le 16/01/2023

Expert-comptable, une crise de vocation?

Si de nombreux domaines connaissent une véritable crise du recrutement, le secteur de l’expertise comptable est particulièrement touché. En effet, les métiers de la comptabilité semblent souffrir d’un problème de recrutement de plus en plus récurrent. S’agit-il d’une crise de vocation ? Le métier d’expert-comptable souffre-t-il d’un problème de notoriété ? Comment les acteurs du monde du chiffre tentent d’attirer de nouveaux collaborateurs ?


Un métier de l’ombre

Profession souvent méconnue du grand public et stéréotypée par les jeunes générations, l’expertise comptable semble être un métier austère et vieillissant dont les missions s’articulent autour des déclarations d’impôts et de TVA, des remises de bilan et de l’établissement de liasses fiscales. La réalité est tout autre, car ce métier est composé de multiples facettes et d’une diversité dans ses missions, faisant de l’expert-comptable un pilier indispensable dans l’exercice de toute activité. Les experts-comptables sont au cœur de la vie économique et assurent un accompagnement de proximité, notamment, selon l’Ordre des Experts-Comptables dans les domaines suivants :

  • Aide à la gestion
  • Conseil aux dirigeants
  • Développement à l’international
  • Evaluation
  • Fiscalité
  • Financement
  • Gestion de patrimoine
  • Fusion-acquisition
  • Juridique
  • RSE
  • Social et RH
  • Système d’information
  • Transaction numérique
  • Transmission reprise

Avec la montée en puissance du digital, la profession d’expert-comptable évolue davantage pour laisser place au conseil et à l’analyse. Grâce à la mise en place de logiciels, mais également à l’intelligence artificielle, les experts-comptables peuvent à présent déléguer les tâches quotidiennes telles que la dématérialisation des factures, l’analyse de documents, la passation des écritures comptables…, pour se concentrer sur leur activité de conseil auprès des dirigeants afin, notamment, de les aider dans leur prise de décisions stratégiques, de les accompagner dans la création d’indicateurs clés et de proposer des leviers de croissance pour leur développement.

Au vu de la diversité des missions de l’expert-comptable et de la digitalisation des métiers du chiffre, différents profils collaborateurs se croisent au sein d’un cabinet : experts-comptables, collaborateurs comptable, gestionnaires de paie, responsables juridique, mais aussi gestionnaires de patrimoine, spécialistes RSE ou encore data scientists, responsables RGPD ou développeurs.

Ainsi, la profession offre des opportunités de carrières multiples et de nombreuses perspectives d’évolutions professionnelles. Toutefois, la pénurie de collaborateurs constitue aujourd’hui le principal frein au développement des cabinets d’expertise comptable. Plusieurs facteurs sont responsables de cette pénurie : manque d’attractivité, problème générationnel, forte demande d’avantages salariaux… mais ce problème ne date pas d’hier. Comment cette crise s’est amplifiée ces dernières années et pourquoi ?


Une pénurie de talents

Le manque de collaborateurs comptables est un problème ancien, aux a priori bien ancrés. On pouvait déjà lire le 9 septembre 2013 dans Le Monde du Chiffre, le 30 juillet 2018 dans Des chiffres et moi, ainsi qu’en septembre 2021 sur Compta job : « Crise de vocation ». On peut donc attester de l'ancienneté du phénomène et nous assistons aujourd'hui à une résurgence des préjugés concernant le métier de comptable. Par ailleurs, le recrutement de collaborateurs comptables se heurte également à la captation des élites, attirées en amont par d'autres postes tel que risk manager, auditeur ou encore en finance pure, des métiers jouissant d'une meilleure notoriété.

Face à ce désagrément d'image, le monde du chiffre doit également faire face à un changement de mentalité impacté par un problème générationnel. Les aspirations et les attentes des collaborateurs ont bel et bien changées.

Pour faire face à ces problèmes, l’Ordre des Experts-Comptables et son comité « Attractivité » concentrent tout leur dynamisme afin de « dépoussiérer » la profession et de remettre au goût du jour les métiers de la comptabilité en redorant le blason d’un métier à l’image spartiate souffrant d’un manque de reconnaissance par rapport à d’autres professions au cursus universitaire similaire telles que les études de droit ou de médecine. Et pourtant ce métier de l’ombre est important tant il est indispensable dans notre système économique et social. Aujourd’hui, le constat est le suivant, l’expertise comptable est mal connue du grand public, d’ailleurs nous pouvons tous citer un grand avocat, un médecin ou encore un scientifique, mais qui est en mesure de citer un grand expert-comptable ? A part nous…


Entretien avec Jean-Louis Teiten, expert-comptable associé chez TC Expertise, installé depuis 1991.

Pourquoi avez-vous choisi le métier d’expert-comptable ?

« Je dirais que c’est purement par passion. Dans les années 80, lorsque j’ai passé le BAC, je voulais déjà m’orienter vers la comptabilité. A l’époque, un seul BTS à Metz proposait cette formation et au vu du nombre de demandes, j’ai dû m’orienter vers une école de commerce parisienne. Il y a différentes filières pour exercer un métier du chiffre, mais le cursus pour devenir expert-comptable est assez long, il faut environ 7-8 ans avec un cycle scolaire classique, ou en alternance, et une partie de stages de minimum 3 ans pour valider ses examens.

Je suis implanté à Metz depuis 31 ans. Avec mon associé, nous employons une trentaine de collaborateurs, selon les périodes. Notre quotidien est très varié et c’est ce qui fait la richesse de notre métier. L’avantage d’être en cabinet, est que nous gérons différents sujets, nous pouvons autant traiter de la paie que du juridique ou la création de statuts de sociétés. Nous rencontrons également tous les profils de l’entrepreneuriat, nos missions sont multiples, variées et très intéressantes.

La comptabilité est un fabuleux métier, un véritable sacerdoce pour ma part, cependant nous souffrons du manque de collaborateurs. »

Comment cela impact votre quotidien ?

« Nous avons énormément de mal à recruter de nouveaux collaborateurs, expérimentés ou en formation, tout comme tous nos clients d’ailleurs. Cela pose concrètement deux problèmes : la baisse de performance et l’impossibilité de gérer de nouveaux dossiers. Lorsqu’un collaborateur quitte l’entreprise et que nous arrivons à le remplacer, nous sommes confrontés aux contraintes liées à l’intégration d’un nouveau collaborateur. C’est-à-dire que, pour un collaborateur expérimenté, il y a un temps d’acclimatation et de liaison avec nos clients, mais également d’intégration de la culture et des valeurs de l’entreprise. Et pour un collaborateur en alternance, il y a tout un métier à apprendre. »

Peut-on parler d’une crise de vocation ?

« Difficile à dire… pourtant il faut se rendre à l’évidence, même si cela m’attriste tant le métier présente de multiples facettes entre l’opérationnel, le conseil et les relations humaines. On constate un déficit de recrutement qui, si fut un temps était dû à la captation de bon nombre de nos collaborateurs potentiels par le Luxembourg, pays frontalier, est dû aujourd’hui davantage au changement de mentalité, bouleversant ainsi la loi de l’offre et de la demande, créant un gap à notre désavantage. Et souvent, lorsque vous repérez un candidat, il est déjà placé. »

Selon vous, comment se traduit ce changement de mentalité ?

« Entre le digital et les nouvelles attentes des collaborateurs, nous devons entièrement repenser notre mode de recrutement et notre organisation générale.

Les nouvelles générations se recrutent aujourd’hui via le net, nous n’avons plus de candidatures en direct. Les personnes qui sont à la recherche d’un job se mettent sur les sites comme Linkedin ou Indeed et les agences de recrutement utilisent des logiciels avec des algorithmes efficaces pour capter les candidats, mais qui nous desservent parfois en reléguant au second plan l’aspect relationnel du processus de recrutement.

Depuis le COVID, les exigences des collaborateurs ne sont plus les mêmes. Une des préoccupations principales est la question du télétravail ainsi qu’un aménagement plus fluide du temps de travail pour permettre une meilleure qualité de vie. »

Vous parlez de qualité de vie au travail, que recherche principalement le « nouveau collaborateur » ?

« Je parlerai plutôt de ce qu’il fuit : le stress. En effet, les exigences liées à la profession conduisent parfois le collaborateur comptable à subir un stress dont il ne veut plus. J’ai remarqué que, depuis la fin du COVID, les relations avec les clients se compliquent. D’un côté, le client est toujours plus exigeant et de l’autre côté les échéances à respecter doivent être maintenues. L’aspect multitâche de la profession induit un stress que les gens ne veulent plus subir. Comme je l’ai dit, la comptabilité est un métier passionnant, mais de plus en plus stressant et je pense que c’est une des raisons importantes qui fait fuir les collaborateurs. »

Pensez-vous qu’il est possible de répondre aux exigences des collaborateurs et de pallier ce problème de recrutement ?

« J’espère que nous réussirons à séduire de nouveaux talents. Je pense que tout se joue au moment de leur orientation. D’ailleurs, l’Ordre fait déjà un énorme travail pour revaloriser notre métier qui peut souffrir d’un problème d’image. Il communique largement afin de faire connaître la diversité des métiers du chiffre.

De notre côté, nous misons beaucoup sur l’alternance. Cela nous permet de recruter et de former un collaborateur qui réalisera tout ou partie de sa carrière chez nous. Toutefois, le risque est que nous les formions et qu’ils nous quittent dès la fin de leurs études…

Nous devons également nous adapter sur un point organisationnel, notamment afin d’améliorer notre système informatique en mettant en place des logiciels de simplification des tâches administratives et comptables. Hier, nous saisissions les pièces apportées par le client manuellement, aujourd’hui le client peut lui-même scanner ses pièces et les intégrer directement dans la base de données. Ainsi certains métiers ou certaines tâches vont disparaître pour laisser plus de place au conseil, c’est dans ce sens que va évoluer la profession.

Une des conséquences de la pénurie de talents, mais également de l’inflation nous oblige également à revoir à la hausse les salaires afin d’être plus attractifs.

Lors d’un recrutement, il y a quelques années, la demande était concentrée sur le temps partiel, particulièrement pour les mères de famille. Aujourd’hui, la nouvelle spécificité est plutôt orientée vers une demande du nombre de jours de télétravail proposés.

C’est indéniable, il faut s’adapter pour attirer de nouveaux candidats et la concurrence est très rude. Au-delà du nombre de cabinets et du niveau de réputation, nous sommes en concurrence aujourd’hui sur cet aspect sociétal. Si un jeune expert-comptable s'installe, il aura peut-être moins d’expérience, mais certainement plus de peps qu’un autre de 60 ans. Il y a des virages d'investissement qu’il ne faut pas manquer et notamment en matière de transition numérique. »


Des solutions pour pallier le problème de recrutement

Charles Basset, Président national du comité « Attractivité » de l’Ordre des Experts-Comptables, affirme que la pénurie actuelle est avant tout un problème structurel. Il met ainsi en avant 4 axes majeurs, présents dans la feuille de route de l’ordre de janvier 2021 pour attirer les jeunes publics : l’orientation, la réorientation, l’alternance et la rétention. L’objectif est de communiquer et de former sur les métiers du chiffre et de ceux présents au sein des cabinets d’expertise comptable afin de casser l’image erronée du métier, de présenter les missions, les valeurs et la culture ainsi que de fidéliser les collaborateurs en place.

  •  L’orientation : présenter la diversité des missions d’expert-comptable par le biais de campagnes de communication, de supports métiers, de partenariats avec les écoles et universités.
  • La réorientation : développer des formations à destination de personnes en reconversion professionnelle ou de jeunes diplômés.
  • L’alternance : même si la profession est moteur en matière d’alternance, il faut davantage recruter sur ce modèle, notamment avec l’opération 1 collaborateur-1 apprenti afin de donner plus de place à la jeunesse dans la profession.
  • La rétention : favoriser l’intégration des collaborateurs, les faire monter en compétences.

Au-delà de l’image, le comité préconise aux experts-comptables d’adapter leurs pratiques managériales en fonction des profils des candidats et des collaborateurs dans le but de leur proposer un management dynamique et participatif. Il est essentiel de développer des liens uniques avec chaque individu et de proposer des avantages salariaux en phase avec la demande des candidats et avec les possibilités du cabinet. Par ailleurs, la digitalisation des pratiques est un levier actif d’attractivité pour les jeunes générations. Cela permet d’ouvrir le champ des possibilités en termes de métiers, mais également de permettre une spécialisation dans le conseil, l’accompagnement et le coaching des clients. 


Métier malmené, aux contours souvent méconnus, l’expertise comptable souffre d’une image vieillissante, appuyée par des causes sociétales et structurelles et pourtant, c’est un rouage essentiel et primordial de notre système économique. Véritable profession d’excellence aux multiples facettes qui poursuit sa mission tout en se modernisant, elle fait face à des difficultés intrinsèques qu’elle tente de résorber en changeant de cap. Nous sommes à une époque charnière. Ainsi la modernisation du métier doit passer par l’intégration du digital ainsi que par l’adéquation avec les nouvelles mentalités et sans doute par la séduction des jeunes. Si le cœur du métier reste le même, il tend aujourd’hui à évoluer vers le conseil, laissant derrière lui les missions de saisie pouvant être traitées par un système d’automatisation.

Face à tous ces efforts et dispositions mises en place, le métier d’expert-comptable se réinvente et bouleverse ses méthodes de travail, entrainant sans doute, dans les années à venir, une autorégulation du problème de recrutement.